Mort ou vif

Mort ou vif

Chekib Abdessalam

Taourirt tan Afela migh Ataram

5 essais de sécurité à l’air libre - dispersion de plutonium
In Ekker plaine (tan ataram - en aval)

Programme complet de la Taourirt Tan Afella ill. V in Les irradiés de Béryl.

La base de vie de la Sonarem où transitent des milliers de travailleurs
chaque année à quelques kilomètres des points zéro de 13 bombes
atomiques - Google-earth

Dans ces années soixante, des armes de destruction massive ont explosé le Sahara. Elles sévissent depuis au Touat, en Ahaggar, aux Ajjers, au Tanezrouft, au Ténéré, en Aïr, dans tout le désert des Imouhar. Cela ne fait aucun doute. Pas d’ambiguïté possible. Sauf peut-être pour Tintin et Milou.

In Ekker : RN1 et base de vie?

La base d’In Ekker est traversée en son milieu par la route nationale n°1 et bordée au sud-est par la plus grande base de vie de la SONAREM, recherche minière, plus grande pourvoyeuse d’emploi dans le désert et au Sud-Ouest par un immense camp de prisonniers puis au sud à moins de vingt kilomètres se trouve le village d’In Amguel.

Sur le terrain en 2014, les choses ont-elles changé ? Rien n’est moins sûr. Touhami Abdelkrim, vice-président de l’association Taourirt, confirme.

Aérodrome In Ekker - In Amguel ”Escale”

Revenons à la jusquiame, car elle nous permet de revisiter l’histoire en Ahaggar, la vraie celle des Kel Ahaggar. Au temps de l’aménokal Hitaghel. Il était une fois une colonne Flatters dont les réserves de vivres et de dattes avaient été mélangées à de la poudre de jusquiame séchée juste avant la bataille d’Inouhaouene en 1881 qui retardera de 20 ans la prochaine colonne d’Hercule de conquérants.

Radiations mortifères

invisibles inodores en

Afrique et en Europe

Les centres CSEM et Cemac sont officiellement fermés les 1er et 15 juin 1967. En réalité, jusqu’au début des années 90^32 , il semble que des missions annuelles de mesures et de contrôles conjointes ont lieu avec des officiers et des chercheurs avec ou sans uniforme. Pour les questions nucléaires, le calendrier est spécifique, ésotérique. Le diagnostic se fait sur le moyen terme. Les réponses à court terme ne suffisent pas. Des décennies s’écoulent. Les Touareg Immidir, Iqoutissen, Kel Amguid,

  1. Peut-être au-delà ou jusqu’à aujourd’hui qui sait ce qui se passe dans le brouillard esquissé?

Issaqamaren et Kel Ahnet suspectent dans leur intime conviction des touristes d’être là en mission très spéciale. Les Touaregs ne sont pas que des indigènes sauvages et incultes. Ils pensent donc ils sont. Même si on ne s’est intéressé qu’aux vétérans de l’Aven^33 et aux cobayes blancs, noirs, bazanés ou bruns. On ne le répètera jamais assez. Les habitants des qasbahs, des ksours, les sédentaires, les nomades, de la Saoura, de la Tajakant, du Touat, du Tidikelt, de l’Ahaggar, des Ajjers, de l’Aïr, du Tamesna, du Tilemsi, de l’Azaouad, de l’Adrar, du Massina, de l’Akakous, du Fezzan, de l’Akaouar, du Tibesti, de l’Ennédi, du Damergou, du Kanem etc… : au Sahara et au Sahel, les gens sont aussi des êtres humains avec un cerveau pour réfléchir, comprendre, des oreilles pour écouter entendre, des yeux pour voir, des cordes vocales pour parler, chanter, murmurer. Ils respirent. Comme avant eux les Amérindiens. Ils sont d’une humanité. L’humanité. Les hommes qui vivent en symbiose avec la nature sont de surcroît, à l’avant-garde. Nous les appelons Tidaf, Tadaft ou Adaf du côté d’Aramaj ou inversement Ag Arama ou Jarama. Les humains sahélo-sahariens n’en pensent pas moins mais. Les essais nucléaires ont tués les

  1. Association des Vétérans des Essais Nucléaires

leurs, irrémédiablement irradiés ou profondément affectés. Or, ils ont conservé intactes leurs facultés de discernement. Herboristes distingués, amateurs de florilège, arpenteurs, ils finissent toujours par découvrir le pot aux roses. Tout prés, là-haut, à l’ombre imprimée du dernier arbre, Afeltés, le musc de Cham de la Tafedest, des Ajjers, du Tibesti.

Plus tard, aux environs d’In Ekker, au Sud-Ouest de la base principale des essais nucléaires, un camp de concentration de prisonniers de type Guantanamo décadent rudimentaire est mis en place par l’armée du Tell, au temps des éradicateurs. Les terminators et ninjas, comme ils se font appeler, quand « il commence à se faire tort » comme dira si bien Amazigh Kateb dans l’une de ses chansons, fils de Kateb Yacine, auteur de Nejma et de théâtre musclé.

Nejma

Musicien chanteur de renom, ne mâchant pas ses mots, il chante la vérité. Il chante la mélodie d’un fauteuil dans un salon de coiffure pour dames. Il ne sait pas encore que les Telliens compradores ont construit avec leur Maître une base aux Grandes Oreilles non loin des séries de gneiss et une autre aux petites ailes plus à l’est, vers la aqba Tafilelt chère aux pèlerins du millénaire. L’anthropocène jongle avec les pépinières de paraboles venues du canada et les drones amusants de clones amusés. Ensuite, on partira en vacances au Nevada. Chez les Sioux et les Commanches disparus. Pour la bergère aux caprins, qui surplombe les chantiers camouflés, la rencontre est fortuite. En Tahalgha tassatafet ou en Tahalgha tamelelt tout se sait. Les volcans ne sont pas complètement éteints. Les grands et petits bergers ont la vue perçante et c’est tout naturellement qu’ils percent de leur dague les secrets de Polichinelle, de Sidi Ouan Tidit, des Kel Tinaouine, des Kel Tikemoussen, des Ikoufars ouan Araben et des Chinois, autrement dit les chnaouas. Le parent des jeunes bergères leur enseigne qu’il y a eu trois cent mille prophètes, les trois cent mille bergers. Quelle chance d’être berger comme eux aujourd’hui! leur école, la vraie, s’appelle aqarbiche et tissiouaye. L’école de la vie, pas l’école de la mort. Leur maîtresse d’école s’appelle Talamt ou Taregant. Le lait de chamelle et Oudi ouan oulli, le beurre fondu de chèvre, sont nos vitamines. Taguella et tachakouet : notre viatique. Ils sont l’antidote de dot.com. Dans le désert, les nomades n’ont pas besoin qu’on leur fasse un dessin. Ils ont rapidement réalisé qu’ils ne travaillaient pas dans des mines d’argent comme on voulait leur faire à croire. Ils avaient aussi tout de go remarqué que les boitiers de leurs combinaisons censées être hermétiques et les protéger des radiations étaient en panne. Ils remarquaient les différences de traitement et d’équipement. Leur mémoire est intacte. Ils ont transmis ce qu’ils ont vu et vécu de bouche à oreille de génération à génération. Ils ont aussi raconté à leur congénère les scènes de panique des chercheurs et des militaires coloniaux quand ils se sont enfuis comme des lapins. Effarouchés et poudre d’escampette. Ils ont remarqué et deviné le rôle des différents postes d’observation installés aux quatre coins du désert. Ils ont suivi du regard le ballet des hélicoptères, genre alouettes de guerre, pilotés par les Ikoufar comme on les a toujours appelés ici. Ils savent que l’intensité des pollutions augmente avec le froid. De manière empirique et en tant que Peuple cobaye es qualité aux avant- postes sur les lieux du crime en série et du criminel récidiviste, ils n’ont pas manqué d’observer avec un regard vivifié par l’antimoine, un regard perçant d’être vivant faisant partie intrinsèque du milieu naturel héritier de plusieurs milliers d’années d’occupation partagée, de migrations mineures et de migrations majeures, toute période, toute ethnie confondue. De confédération, en zone tribale, comme dirait Google-earth. Les éléments sont leurs alliés. Le vent est des leurs. Sisten toumast tan Kel Erou. Questionnez la sagesse des Anciens.

Éole ne ménage pas ses efforts. Son action diffère selon la saison durant laquelle se déroulent chacun des essais nucléaires. Consciencieux, Eferenfer se charge à chaque fois de magnifiques particules subatomiques légères innombrables qu’il emmène, chaussé de bottes de sept lieux, pour une promenade de géant, d’oiseau de proie migrateur, de poussière éolienne. Dans sa dramaturgie, sa chanson de Roland, son poème d’Atakara ou de Daoudaoua, il disperse de façon plus ou moins égalitaire - à chacun son dû -, les atomes regroupés en molécules. Des dépôts marins et terrestres se constituent en ligues dissoutes de matière fissile. Selon leur structure, les atomes sont de type Z=x. Sicile, Belgique, Centrafrique, Tchad, Eferenfer atomisé se rend crédible, convaincant, aux quatre points cardinaux. Il siffle lugubre dans les tympans. Qui peut entendre son discours? La variable x est un marqueur de proton, hé- lium, hydrogène. Foi d’électrons libres, physicien, le vent n’est qu’une masse de gaz située à la surface d’une planète. Il se cogne partout. Voilà maintenant que le vent a la bosse des maths. Les spécialistes vous en diront tant et plus encore. Si tant est, selon l’humeur du moment, qu’il n’aient pour vocation mutisme et cachoterie. Si l’on se débarrasse des derniers témoins gênants aux oubliettes ou que leur assassinat oblige Amnesty International, peine perdue, les bergers ont déjà transmis leur tradition orale. Une arme immatérielle quasiment invincible.

Aucune zone tribale n’est épargnée. Toutes les tribus sont contaminées et irradiées. Les Dag Ghali principalement pour les régions de l’Atakor, de la Taessa, de la Tessaghlit et de l’Aghechoum, les Issaqamaren pour les régions des premiers contreforts, Kel Hirafok, Kel Ifragh, Kel Ouhet, Kel Mertoutek, Kel Tafedest, Ejij, Amrha, Kel Tourha, jusqu’aux Imenzaz et jusqu’au nord du tassili des Ajjers, les Ajoun Taheli, les Kel Tit, les Ikediouen, les kel Immidir, les Kel Meniet, les Kel Amguid, les Aït Loayen, les Iklan Taoussit, les Imanghassaten, les Kel Ghela, les Taytok, les Ifoghas, les Ineslimen, les Kel Ghazi, les Kel Ahnet, les Irreguanaten, les Ouraghen, et toutes les autres tribus concernées sans exception.

Les gens de passage ne sont pas épargnés. Qu’ils soient nomades, commerçants, camionneurs, touristes, appelés, chercheurs, mineurs, pétroliers, administrateurs et administrés. La route nationale numéro 1, la transaharienne, inaugurée en grande pompe le 19 juin 1978 par le colonel-président à vie, et qui n’est toujours que l’ombre d’elle-même, traverse la base d’In Ekker au pied de la Taourirt dans toute sa longueur en son milieu! depuis toujours. Des montagnes de ferrailles, câbles, barbelés, zimmerman, pneumatiques et autres équipement périmés abandonnés hautement irradiés, abondamment ramassés, récupérés, recyclés comme matériaux de construction, clôtures, et bien sûr par les artisans de l’Ahaggar qui les transforment en ustensiles domestiques et en objets pour touristes.

La pression, l’angle de vol et la force des vents sont perturbés par le rayonnement nucléaire. Les vents mettent au défi les lois des échanges atmosphériques et de distributions directionnelles.

En parcourant la presse des années soixante, aux moments forts, au point crucial d’intensité, d’affirmation de la prolifération, on s’aperçoit que l’Italie dépose une réclamation-protestation au quai d’Orsay. Suivie de prés par la Belgique qui entame la même démarche pour se plaindre, constatation faite, de pollution radioactive sur son territoire. Protestations certainement remisées aux oubliettes de l’histoire. À moins que l’opacité souvent de mise et bienséante aux Paradis nucléaires ne favorise quelque arrangement improbable? Patience, après le scandale des paradis fiscaux, voici venir l’esclandre de l’éden nucléaire. Les Japonais ont bien sûr détecté la radioactivité parvenue à leur porte. Un jour surgira du néant un atomic-leaks, WikiLeaks radioactif non gouvernemental, qui permettra aux uns et aux autres d’avaler la pilule car la vérité est salvatrice. Les chercheurs, les psys et les politologues analyseront, expliqueront, dissèqueront, banaliseront alors, le syndrome du survivant. À leurs risques et périls, les lanceurs d’alerte s’attacheront à déconstruire le mythe. Faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Ce n’était qu’un accident. Pas si sûr!

L’Europe occidentale fiévreuse a la chair de poule pourtant elle ne sait pas pourquoi. Les rayons imperceptibles flottent dans l’air. Exhalaisons, expectorants, tourbillons, noyade. La population ignore que l’ambiance parif a mué. Elle s’est faite mortifère. Personne n’écrira jamais cette nécrologie des morts par cancers, contaminations et dégénérescences, divers et variés de fin et début de siècle. Les hommes et les femmes en blanc d’Hippocrate et d’Avicenne en témoigneront. À chacun son devoir, sa responsabilité, sa compétence.

Dans cette atmosphère apocalyptique, le seul espace naturel en zone semi-aride où l’on trouve aisément en surface la trace des Sauriens, se situe au centre du Parc national des Cévennes, sur un plateau appelé désert ou sur un causse où des personnes très âgées d’un hameau sans enfants parlent encore occitan. Hommage posthume soit aux fondateurs de l’associationSauve qui pomme de Florac. Occitanie, l’enfant y est espèce en voie de disparition. L’enfant est particulièrement sensible aux pollutions urbaines et aux radiations nucléaires.

Dans les grandes villes surpeuplées encerclées de campagnes vides, la mixture pollution urbaine et radio-activité se met au labeur. Doucement, mais sûrement. Un travail méticuleux. Sans bruit. En catimini. Conférer en ce sens les travaux de spécialistes du 22e siècle. Pour l’instant les candidats ne se bousculent pas. L’expertise n’est que partie remise.

Au royaume de l’isotope et du radionucléide, on ne ramasse pas les corps des survivants. Sous le soleil hagard, pour les nostalgiques saisonniers, il n’y a plus ni environnement, ni chaine alimentaire.

On mange du plomb et du mercure. Les dérivés de synthèse de jusquiame gèrent la douleur d’une humanité en voie d’extinction. Les cyborgs à antennes, pseudos robots humains augmentés à la sauce samouraï, descendants des croisements bouledogue-pitbull, ne regrettent rien. Il n’y a plus de pharmacie, d’apothicaires, de psychotropes hydrocarbonés ni de musées, ni de chronologie. Affaiblis, trahis et maladroits, les derniers 5.0 de manipulation souveraine se sont auto dissous dans une mousse blanche fluo. Silence dans les rangs clairsemés, comme à l’armée, un adjudant cerbère crie : je ne veux voir qu’une tête. Chacun remplit sa fiche radionucléide en respectant impérativement l’ordre des paramètres radio écologiques. Les riverains du réacteur nouvelle génération d’une centrale nucléaire avalent leur pastille de fluor-retard. Pas question de poudre d’escampette en cas de fuites. Pas le temps. Les nano-biotechnologies se chargent derechef d’absorber et de recycler les poussières de fuyards persistantes.


Bien mal acquis ne profite pas.


À qui profite le crime nucléaire au Sahara? / chekib abdessalam
Nucléaire, bactériologique, chimique,
biologique, balistique, spatial, pétrole, or

Préface d’Abderrahmane Mekkaoui / Collection Allure saharienne, libre de l’Atlantique à l’océan Indien, © alfAbarre, 2021 / 24, rue Le Brun, 75013 Paris (les Gobelins) / http ://www.alfabarre.com / editions@alfabarre.com / ISBN 978-2-35759-105-9 / EAN 9782357591059 / ISBN 978-2-35759-107-3 (Ebook - epub) / ISBN 978-2-35759-106-6 (Ebook - pdf)


Azaouad
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